Psychanalyse, faux souvenirs et Raison: vous m’avez envoyé ceci

Je viens de recevoir ce texte très pertinent sur un sujet que je pensais aborder avec vous.
Je vous le livre tel quel.

Je me permets de vous l’introduire en attirant votre attention sur le fait que ce phénomène réel des “faux souvenirs” a souvent été instrumentalisé par des personnes qui justifiaient le viol ou voulaient en réduire la portée. Il ne s’agit évidemment pas de cela dans ce texte, mais il faut le garder à l’esprit…

Merci à son auteure !

Faux souvenirs et thérapies de la mémoire « retrouvée »

Dans les années 1980 s’est développé aux États-Unis un phénomène baptisé le « syndrome
des faux souvenirs ». Des parents furent accusés d’inceste par leurs enfants devenus
adultes, qui suivaient une « thérapie de la mémoire retrouvée ». Avec dix ans de retard, ce
phénomène est apparu en France et continue de se propager.

Le point de départ du syndrome des faux souvenirs se situe dans la théorie freudienne de la séduction et dans son abandon pour celle du complexe d’Œdipe.

Il ne s’agit pas de nier la véracité des récits spontanés d’abus sexuels avérés, mais de comprendre comment de faux souvenirs peuvent émerger lors d’une thérapie de la mémoire « retrouvée ».

Pour Freud, tout problème psychique fut réduit à un seul type de traumatisme possible, une
seule cause : les abus sexuels subis dans l’enfance. Il insistait sur le fait que seul le souvenir
refoulé et donc inconscient constituait, une fois retrouvé, la preuve de l’évènement traumatique. Selon lui, ne pouvait être pathogène qu’un souvenir refoulé, et ne pouvait être libérateur qu’un souvenir refoulé retrouvé.

Puis Freud abandonna cette théorie dite de la séduction, parce qu’elle ne fonctionnait pas.
Elle était incapable de mener « une seule analyse à une vraie conclusion » (Lettre à Fliess,
21 septembre 1897). D’une part, les méthodes de Freud étaient inefficaces, d’autre part,
elles risquaient, en raison des accusations répétées contre les pères, de le mener au désastre
professionnel.

Dans la théorie du complexe d’Œdipe, les agressions sexuelles devinrent des fantasmes
d’enfants ou de femmes hystériques. Le fantasme œdipien prit ainsi la place de la séduction.
Finalement selon Freud, il importait peu que la séduction ait réellement eu lieu ou qu’il
s’agisse seulement d’un fantasme.

La fièvre s’empara bientôt de psychiatres et de psychothérapeutes formés à la psychanalyse
de la vieille école, ainsi que de nombreux jeunes psychanalystes, puis elle retomba à partir
des années 2000, aux États-Unis.
Freud n’est sans doute pas directement responsable des thérapies de la fausse mémoire. En revanche, le freudisme l’est, car ces thérapies ont emprunté à la psychanalyse ses idées et ses méthodes. Et c’est dans les errements du freudisme qu’elles ont tiré leur origine et leur force.
Les victimes des thérapies de la mémoire retrouvée sont d’abord les patients qui recouvrent des souvenirs « refoulés », puis les parents qui, accusés, n’ont aucun moyen de prouver leur innocence. Certains patients cependant reprennent contact avec leur famille, mais refusent de parler de ce qui s’est passé. Plus rien n’est comme avant. Le plus grand tort de ces thérapies est de ne pas différencier les vrais témoignages des faux, les vrais souvenirs des faux souvenirs, et ce faisant, de nuire à tous.
Aux États-Unis, des jeunes femmes qui ont pris conscience de la manipulation dont elles ont été victimes de la part de leur thérapeute ont porté plainte contre celui-ci. C’est notamment le cas de Laura Pasley qui a ouvert la voie au reflux du syndrome des faux souvenirs. Puis à la suite du cas de Holly Ramona, les parents des victimes ont entrepris de faire des centaines de procès aux thérapeutes de la mémoire retrouvée et les ont gagnés. Le résultat est au rendez-vous : depuis 2000 le phénomène a pratiquement disparu aux États-Unis.
Pour la première fois en France, s’est tenu, en avril 2012, le procès d’un pseudo-thérapeute des faux souvenirs, Benoît Yang Ting, accusé par deux anciens patients de « manipulation mentale ». Ce procès a abouti à une réquisition de dix-huit mois de prison avec sursis et à 100 000 euros de dommages et intérêts. Le délibéré devrait être rendu le 12 juin. Il pourrait faire jurisprudence.

Pamela Freyd, fondatrice de la False Memory Syndrome Foundation à Philadelphie écrit : « Si la psychothérapie vécue par nos enfants avait été basée sur des connaissances scientifiques solides, le problème du syndrome des faux souvenirs n’aurait jamais eu lieu ».

Brigitte Axelrad
Professeur honoraire de philosophie et de psychosociologie

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